Au cours de sa longue carrière, Chedli Klibi, grand commis de l’Etat a eu trois grands domaines d’excellence: la culture, la diplomatie et l’écriture.
Les artistes peuvent pleurer celui qui fut leur meilleur défenseur. Aux Affaires Culturelles, ministère nouvellement créé, il mit toute son énergie pour insuffler les nouvelles politiques publiques. Par trois fois, de 1961 à 1978, il aura en charge ce portefeuille. «Il ne fermait sa porte à personne, discutait volontiers aussi bien avec l’homme de lettres Habib Boularès qu’avec les jeunes de la troupe du Nouveau théâtre», se souvient l’une de ses collaboratrices. Il fut physiquement présent à toutes les premières culturelles. Il eut le temps d’organiser et de structurer le Ministère.
Les architectes aussi: l’Institut Technologique d’Art, d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis (I.T.T.A.U.T) était à sa création en 1973 rattaché au Ministère de la Culture marquant ainsi la dimension artistique de l’architecture.
La famille du cinéma également: Chedli Klibi fut le fondateur des Journées Cinématographiques de Carthage (J.C.C). Imaginée par le cinéaste Tahar Cheriaa et lancée officiellement en 1966 , cette manifestation, une première du genre dans le monde arabe, avait pour objectif premier de mettre en avant le cinéma de l’Afrique subsaharienne et le cinéma du monde Arabe, de créer des ponts de dialogues entre le Nord et le Sud et de proposer une rencontre entre cinéastes et amoureux du cinéma de tous bords.
Chedli Klibi dit alors :«Nous espérons d’abord un dialogue. Un dialogue, franc, lucide, sans arrière-pensées. Mais nous sommes sûrs qu’un tel dialogue ne peut conduire qu’à une meilleure connaissance réciproque entre Africains et Européens, entre Méditerranée du Sud et Méditerranée du Nord».
La grande famille des festivals de même: festivals dont les archétypes demeurent le Festival International de Carthage et le Festival International de Hammamet créés en 1964. Carthage est considéré comme l’un des festivals arabes, africains et mondiaux les plus importants et est abrité par le théâtre antique de Carthage, restauré au début du XXème siècle. Hammamet a lieu à Dar Sébastian, demeure mythique, dans un parc botanique aux cent espèces florales .Les représentations se donnent dans le théâtre conçu par Paul Chemetov face à la mer. Jean Duvignaud rapporte cette folle aventure dans « L’Oubli ou la Chute des corps». (Actes Sud éditions, 1995).
La diplomatie: Chedli Klibi fut élu Secrétaire Général de la Ligue arabe lorsque l’organisation quitta le Caire pour Tunis suite aux accords de Camp David en 1978. Il y commença, à partir de 1979 une seconde carrière où il pu montrer ses talents de négociateur hors pair, sa finesse d’esprit, son érudition, sa diplomatie sereine, ses liens privilégiés avec de nombreux chefs d’États arabes et étrangers. Il consolida alors les relations internationales de la Ligue Arabe et la restructura. La patience de Chedli Klibi sera mise à rude épreuve par Saddam Hussein. Il quitta la ligue arabe en 1990, lors de l’invasion du Koweït par l’Irak et se mit en retrait de la vie politique.
L’écrivain: Chedli Klibi est un auteur bilingue dont les propos sont extrêmement actuels.
Outre les conférences littéraires qu’il donnait régulièrement, il a notamment écrit “Les arabes et la question palestinienne” et “Les questions de la religion et de l’époque”. Il revient sur plusieurs questions dont son mandat à la tête de la Ligue arabe dans ses entretiens avec Geneviève Moll « Orient-Occident : la paix violente » publié en 1999 (Sand éditions). En 2012 il livre au public une biographie intitulée “Habib Bourguiba: Radioscopie d’un règne” (Demeter éditions) dans laquelle il y parle de sa relation avec Bourguiba, des coulisses du Palais de Carthage et de la vie politique à l’aube de l’indépendance.
Il livre régulièrement ses analyses, sous forme de chroniques ou de témoignages, dans les colonnes du journal en ligne Leaders. En 2015 le Ministère des Affaires Etrangères lui rend hommage. L’exposition « Gorgi Pluriel » en 2018 au Palais Kheireddine à Tunis est une autre occasion d’hommage à l’ami des artistes.
Et pour conclure ces lignes écrites il y a plus d’un demi-siècle, en 1966: « Nous vivons une époque dont le signe distinctif sera probablement, pour les futurs sociologues, cette recherche du dialogue, cette volonté de résoudre les problèmes ou de promouvoir des relations nouvelles entre les hommes au moyen de dialogue».